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Atelier Le Parc
à Madrid
Par Julio Le Parc, 1985.
Pendant un mois, entre octobre et novembre 1985, je me suis chargé de l'atelier d'art actuel du cercle des Beaux-Arts, auquel ont participé Paz Casanova Moreno, Gloria Fernandez Garcia-Nava, Lorenzo Ferreras Prieto, Susana Fiorucci, Javier Gandarillas Grande, Felix Garcia Moreno, Federico Garcia Simon, Cesar Angel Gomez, Lola Gonzalez de la Vega, Maribel Gonzalez de la Vega, Salvador Herranz Cabrera, Montse Merino, Maria Luisa Mirabal Ubeda, Marieta Negueruela, Marta Prieto Sancho, Angela Recio Segoviano, Sofia Reina, Emilio Rojo Cruz, Carlos Velasco Montes, Rosa Maria Villalon Alonso, Jaime Torres Aleman.
L'atelier se déplaça pendant une journée entière au Parc de Retiro. Le critique d'art Zaya de la revue Guadalimar en profita pour demander leur opinion à quelques jeunes participants à l'atelier et à trois artistes espagnols : Juan Genoves, Martin Chirino et Rafael Canogar.
Il m'a également interviews sur le sujet.
Voici quelques extraits de notre conversation :
Le problème réside dans un vieil exposé qui, a mon avis, reste sans solution, commence Le Parc. Un jeune critique comme vous pourrait bien se demander ce qu'un vieux peintre comme moi peut bien trafiquer dans le parc de Retiro. Normalement, on peut s'attendre qu'arrive a un certain niveau de sa carrière artistique ou a un certain âge, un artiste reste dans son cocon, qu'il recherche la tranquillité et s'occupe de la promotion internationale de son œuvre et d'obtenir le maximum des circuits institutionnels, par l'intermédiaire des galeries, des grandes expositions, des musées, etc.
Mais je pense que ces problèmes, qui m'ont toujours préoccupé, n'ont obtenu aucune solution ces dernières années. Cependant, ces expériences suscitent la réflexion, ce qui peut déboucher sur des possibilités de participation et de solution.
Quand vous êtes-vous lancé dans ce type d'activité?
En 1966 dans les rues de Paris. Nous avons eu pas mal de problèmes avec la police qui nous pourchassait. Ceci nous empêchait de respecter l'horaire prévu, d'autant que nous passions du temps à discuter avec eux pour essayer de leur expliquer nos objectifs artistiques.
N'avez-vous pas déjà réalisé une expérience de ce type à Caracas?
A Caracas, j'ai installé quelques jeux a l'entrée d'une exposition personnelle. Si on considère ces activités avec les yeux de l'amateur ou du critique d'art, qui voient les choses sous le jour de la nouveauté ou de l'actualité, on peut penser, comme d'autres choses similaires qui ont déjà été faites, dans une optique qui leur ôte le caractère de nouveauté pour n'en garder que le coté esthétique, mais les idées qui sont a l'origine de nos actions de 1966 existaient déjà et ont été prises en considération, bien avant par les Dadaïstes par exemple, et n'ont jamais été résolues.
Ceci me rappelle la phrase célèbre de Lautréamont : L'art doit être fait pour tous. Une conception intégratrice et participative.
C'est une direction, l'expression d'un souhait plutôt qu'une conception. C'est comme voir au fur et à mesure, dans les sociétés dans lesquelles nous vivons, comment on maintient en général les gens dans une situation de passivité, de dépendance, de non-intervention, par l'intermédiaire d'institutions établies, qui ne les prédispose pas à une relation directe dans presque tous ses aspects. C'est ainsi que, en ce qui concerne les arts plastiques, la capacité d'imagination et de création des gens s'endort. Peut-titre que, de ce point de vue que l'on peut qualifier d'utopique ou d'irréalisable, la volonté existe d'aspirer a ce que les gens se réveillent, participent, observent, critiquent, transforment, libèrent leur capacité de création. Les problèmes que nous avions dans les années soixante restent, pour un jeune peintre, irrésolus. Comment va-t-il diffuser son œuvre ? Comment subsister pour continuer a travailler ? Comment va-t-il se mettre en valeur ? Quel écho ou quelle incidence sociale son œuvre va-t-elle avoir ? Qui en est le destinataire en fin de compte ? Quel est le vrai sens du concept de liberté d'expression ? De quelle manière la création artistique contemporaine est-elle conditionnée par les lois du marché ? Qu'y a-t-il derrière les phénomènes de modes successives ? Comment expliquer la cruauté du système qui brule ceux qu'il avait adorés et rendus célèbres ? Quels sont les principes d'ordre esthétique sur lesquels il faut s'appuyer pour accroitre sa capacité de création et conquérir le public? Ces phénomènes qui concernent la manière de faire l'art actuel et de le faire circuler socialement restent identiques. Ce type d'expérience ne concerne pas seulement les 21 artistes, que je ne connaissais d'ailleurs pas jusqu'a présent, qui y ont travaillé avec moi. Et ces problèmes les affectent, si ce n'est quotidiennement, en tout cas de manière vitale. Certains les résolvent à tâtons, mais ils ne sont pas les seuls inquiets. Quand des activités de ce type ont lieu, on est confrontés à la soif et à la demande du public, à sa volonté de participer, a son désir de faire des choses. La nuit tombait que le public se pressait encore pour nous réclamer peintures et papier. Certains parlaient de contagion...
II s'est agi d'un énorme effort de la part des 21 participants à l'atelier et ca, il faut le souligner. On avait parle de réaliser un travail collectif et au début, je pensais qu'il s'agissait d'une peinture murale ou quelque chose dans ce genre, mais ca a dérapé petit a petit, au fil des discussions, vers un projet de plus en plus précis, qui se heurtait aux pesanteurs de la municipalité qui ne faisait rien pour adapter l'infrastructure. Mais leur détermination a eux était réelle, bien plus forte que la mienne pour affronter ces difficultés. Voila qui peut servir d'exemple aux politiques culturelles. Elles pourraient prendre des initiatives de ce genre, non plus de manière isolée mais plus organisée, structurée et a une vitesse qui permettrait d'améliorer au fur et a mesure les résultats de l'opération, que ce soit au niveau des ministères, de la municipalité ou de la communauté autonome. Certains suggéraient de porter l'expérience dans les écoles et dans les banlieues. Mais ceci ne peut plus seulement dépendre des efforts personnels d'un groupe. II faudrait établir un contact direct avec le public -non plus au travers des galeries et des institutions-grâce auquel les gens qui circulent dans ce lieu se sentent impliqués, le solliciter de toutes les façons possibles par le jeu, la réflexion, etc., avec des œuvres de Tapies, de Saura et d'autres artiste consacrés de manière a sonder activement ce que signifient ces œuvres dans leur contexte, pour déduire les comportements et les échanges a partir de faits précis.
En général, quand il s'agit de commandes publiques comme pour celle de l'aéroport de Barajas, c'est un responsable culturel qui décide car on pense logiquement qu'en tant qu'expert de l'art contemporain il est le mieux placé pour le faire; en réalité ce devrait être les usagers qui, après une réflexion collective, décident quel genre d'œuvre et quel artiste ils vont sélectionner. Ceci serait l'occasion d'un échange public entre les artistes, les experts et les critiques, pour le plus grand bien de tout le monde.
Mais ceci signifierait la fin d'une certaine sclérose bureaucratique et des diverses sinécures et autres privilèges accordés par les autorités a certains artistes, toujours les mêmes.
Mais en plus, cela ouvrirait toutes sortes de possibilités. Pour en arriver la, il faudrait reformer profondément toute une mentalité.
Récemment, dans une table ronde, un critique m'a avoue franchement que l'avantage du système dans lequel ils évoluent est qu'ils le connaissent et le dominent alors que pour eux, ce que je propose est aussi rassurant que de sauter dans le vide.
Jusqu'a un certain populisme des quartiers périphériques, des petites municipalités et des villages, tout serait permis et faisable, a mon avis, mais a une échelle provinciale autonome, sans parler de l'ensemble national, ceci, à l'heure qu'il est, me parait irréalisable dans la mesure ou les artistes eux-mêmes ne voudraient pas participer a cette histoire parce que ce serait renoncer a leur statut.
C'est sur, mais d'autres artistes se présenteraient et la perspective serait différente pour les jeunes artistes.
C'est ce qui fait toute la valeur des Ateliers d'art actuel de CBA qui ont eu des ramifications à Las Palmas, Vitoria et la Coruna et ont notablement amélioré l'animation culturelle de ces villes.
Tout ce qui favorise une ouverture, un dialogue permettant la réflexion, prépare l'avenir. C'est pourquoi je pense que des initiatives comme celles de cet atelier sont positives et ce serait dommage qu'elles restent un fait isolé car dans ce cas on les caractérise de nouveau esthétiquement et on esquive les vrais problèmes.
En effet, Fluxus, Beuys, Kaprov et d'autres ont déjà posé ces problèmes après les dadaïstes, mais leurs expériences n'étaient que de simples effets esthétiques et c'est pourquoi ils n'ont pas eu d'influence sur la société en dehors de leur propre milieu, réduit a une élite de disciples.
A l'intérieur des organismes officiels, dans les politiques actuelles, il existe des lieux, des moyens, des salariés avec du temps libre, toutes sortes de possibilités d'infrastructures, de transport, etc., qui pourraient permettre de mener a bien ces activités qui ne reviennent pas cher si on les compare au cout des expositions officielles. Ce qui se passe en général, c'est que les gens qui occupent ces postes officiels ont la même mentalité que les directeurs de galeries d'art. Mais ca ne veut rien dire. On ne peut rien reprocher au galeriste parce qu'il risque son argent personnel et pas celui des autres. Mais s'il s'agit d'un service public on ne doit pas avoir de critères minoritaires; s'il n'a pas de préoccupation imaginative, il tombe obligatoirement dans la corruption inhérente a l'art actuel et a l'accélération des modes, depuis les impressionnistes jusqu'a aujourd'hui, qui mène a la situation absurde dans laquelle les organisateurs deviennent plus importants que les artistes eux-mêmes. La manipulation est arrivée à un tel extrême que des gens comme ceux qui sont venus aux Ateliers la subissent également. J'ai posé ces problèmes depuis le début et les participants de l'Atelier en sont venus d'eux-mêmes à cette expérience de Retiro.
Julio Le Parc, Madrid, 1985.
ATELIER LE PARC - 2014