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Le Parc et le problème

de groupe

 

Par Franck Popper. 1966

 

L'attribution du grand prix de peinture de la Biennale de Venise à Julio Le Parc a soulevé un certain nombre de problèmes qui vont au-delà du personnage et de l'évènement. Ceci prouve que le choix a été heureux.

Une telle décision souligne tout d'abord la plus ou moins grande prise de conscience du jury devant les distinctions classiques entre peinture et sculpture, lesquelles tendent à disparaître dans l'art d'aujourd'hui. Ainsi le mouvement et la lumière deviennent des moyens d'expression artistiques importants tandis que la couleur et le volume sont en moindre faveur. Mais il faut y voir surtout la preuve que c'est dorénavant la recherche qui prime sur le chef-d'œuvre achevé, et que cette recherche peut être entreprise en contact étroit avec d'autres artistes.

 

Cependant Le Parc a inauguré seul sa recherche par une investigation dans ce qu'il appelle des surfaces séquences. II prit comme point de départ une trame d'échiquier: des progressions et des juxtapositions furent obtenues en faisant décroître le diamètre de cercles noirs et blancs, en créant des séquences sur une gamme de douze puis de quatorze couleurs ou en inclinant graduellement la position d'une ligne dans le sens des aiguilles d'une montre ou dans le sens opposé. Ces surfaces-séquences, fixées et suivies par l'œil du spectateur, donnèrent lieu à des impressions de nouvelles et surprenantes structures (mouvement consécutif. Chaque légère modification de séquences faisait apparaître une structure différente et pour ainsi dire cachée à l'intérieur de la trame progressive. Ainsi fut posée la base d'une nouvelle recherche plastique et perceptive de laquelle l'élément subjectif fut pratiquement éliminé. On peut avancer que ceci constitue déjà un développement par rapport aux œuvres " optiques ", et " subjectives " comme celles de Vasarely par exemple. En fait, Le Parc et quelques-uns de ses amis, membres future du Groupe de recherche d'art visuel de Paris, récemment arrivés d'Argentine en 1958, visitèrent plusieurs fois Vasarely au début de leurs recherches. Ils rencontrèrent également Denise René déjà intéressée par ce genre de travaux et qui devait par la suite présenter plusieurs de leurs expositions. Leurs toutes premières études constituent une tentative de familiarisation avec le vocabulaire plastique des trames de surface de Vasarely. Mais par un souci de rigueur et afin d'éliminer la composition " picturale " - c'est-à-dire l'animation de telle ou telle partie de la surface par l'inclinaison d'un nombre d'éléments arbitrairement choisis - Le Parc et ses amis s'acheminèrent vers les trames de surfaces dont un ou deux paramètres sont modifiés régulièrement. Ces surfaces-séquences se prêtent à la répétition et à la multiplication. De cette manière également, de nouvelles structures visuelles et instables dépendent de la vision périphérique peuvent apparaître sans qu'il y ait la moindre intervention artistique arbitraire.

 

Le passage des œuvres bi-dimensionnelles aux œuvres tri-dimensionnelles se fit en relation avec le problème de la couleur, de la transparence et de la lumière. Le Parc obtint de bons résultats sur le plan des séquences progressives, des déplacements et des rotations, en se servant de cubes en plexiglas ou il incorporait des séquences chromatiques qui apparaissaient alors sur quatre plans.

 

Cette première période de recherche chez Le Parc est d'une particulière importance puisque les reliefs et les suspensions qui s'ensuivirent doivent être considérés en relation avec les premières œuvres et représentent une continuité et une conséquence de ses premières préoccupations plastiques générales. Ces premières expériences entreprises avec des moyens assez rudimentaires: prismes en plexiglas pour l'investigation des formes illuminées multiples, boites ou images et couleurs apparaissent en profondeur et que l'on peut manipuler de façon à obtenir une variété illimitée de combinaisons, autres boites contenant des " mobiles continus ", firent bientôt place à des expressions plus élaborées et plus libres qui dépassent leurs propres " cadres " et celui du laboratoire.

 

En 1960 Le Parc étudia systématiquement les maintes possibilités offertes par la transparence, le mouvement et la lumière, en combinant, à l'aide de la rotation, le blanc sur blanc, le noir sur blanc et le noir sur noir selon des probabilités plus ou moins calculées. Le facteur nouveau et important de cette recherche réside dans l'incorporation d'éléments extérieurs (blanc sur blanc) à la proposition plastique. Aux Mobiles s'ajoutèrent bientôt d'autres éléments venant de l'environnement: des effets de lumière et d'ombres, des formes et des couleurs ainsi que des images partielles se mouvant à différentes vitesses. Depuis 1960, un développement parallèle mettait en valeur la progression des éléments à différentes surfaces et à différents niveaux dans des œuvres composées de reliefs en bois et en métal. Ces progressions à vitesses variables devenaient perceptibles par la rotation des éléments régulièrement ordonnés.

Cette double recherche devait soulever un nouveau problème plastique: la lumière réfléchie et interrompue et la lumière rasante en tant que moyens d'expression.

Comme toujours les tout premiers objets expérimentaux renfermaient dejà un grand nombre de possibilités. Ainsi, dans les Ensembles, des mobiles installés devant des sources de lumière provoquaient des réflexions lumineuses entourant le spectateur.

L'emploi de la lumière rasante depuis 1960 donna de fascinants résultats avec les continuels- lumière et les cylindres introduits en 1962. L'exposition Kunst-licht Kunst qui se tient à Eindhoven en septembre 1966 met en valeur des travaux issus de la même recherche.

 

A la suite de ses expériences, Le Parc choisit de mettre l'accent sur la visualisation de la lumière en rapport avec le mouvement. Pour commencer des sources de lumière furent simplement placées derrière un bac percé de trous. Le projet trouva son application dans le Labyrinthe exposé à la Biennale de Paris en 1963 et, deux ans plus tard, dans celui qui fut exposé à New York.

La tentative d'association active du spectateur dans le processus esthétique a donné lieu en 1963 à un nouvel et important développement. La participation du spectateur fut alors sollicitée de manière très variée: par son propre mouvement, par la manipulation des éléments, par des obstacles (placés sur son parcours) et par des éléments à " essayer " qui modifient physiquement la vision, la sensation cinétique, etc. De même l'activation du spectateur fut sollicitée par des mouvements " à surprise " et par des stimulations lumineuses

mettant en action des images de la lumière et de la vitesse ainsi que des sensations de la lumière directe.

Malgré les apparences, les objets de Le Parc entrent tous dans la continuité de la recherche commencée avec des formes géométriques simples et des permutations chromatiques - qu'il s'agisse des dalles de son parcours accidenté, de sa chaise basculante à ressorts, de ses lunettes donnant des visions fragmentées et réfléchies de l'environnement ou de ses nombreux projets tels: une douche, l'usage de la lumière rouge et de la chaleur, ou encore la construction d'un volume de particules en mouvement accrochant les rayons de lumière.

Les effets souvent obtenus par Le Parc à l'aide de miroirs et de lumière directe ne peuvent masquer sa principale préoccupation: la poursuite d'une recherche plastique fondamentale ouverte sur l'avenir. Garcia-Rossi, Morellet, Sobrino, Stein et Yvaral, également membres du GRAV, ont suivi un développement parallèle.

Une analyse minutieuse de leurs recherches ferait apparaître de nombreux et évidents points de coordination et de réciprocité avec les différentes phases du développement chez Le Parc, énumérées ci dessus.

Ainsi la réduction au minimum du choix subjectif chez Garcia-Rossi et son désir d'utiliser toutes les possibilités techniques, scientifiques, perceptives et matérielles, a crée une grande affinité avec la première période de Le Parc et se fait également ressentir dans sa recherche de la lumière. Les peintures programmées et expérimentales de Morellet correspondent au point de départ du groupe, tandis que ses chocs visuels au moyen de la lumière peuvent être comparés aux œuvres plus récentes

Sobrino a dû également travailler à un certain nombre de problèmes concernant la surface plane avant de produire ses cubes en plexiglas ou autres objets transparents correspondent étroitement à la préoccupation générale du groupe - que l'on retrouve précisément chez Le Parc - celle des transformations instables.

Chez Stein, les formes et les couleurs offraient au début des points de comparaison avec les travaux des autres membres du Groupe à la même période. Apres être passé par des combinaisons et des superpositions en reliefs, Stein aboutit à de nouvelles corrélations, toujours dans le contexte du Groupe, grâce au mouvement par la suspension d'objets et à l'aide d'effets lumineux obtenus dans des polyèdres et des kaléidoscopes Mais il y parvint surtout en s'attachant au jeu plutôt qu'à l'objet.

Yvaral, déjà familiarisé avec les phénomènes visuels obtenus avec des matériaux divers comme le plexiglas, le caoutchouc, le fil vinylique, en trouvait leurs relations avec les problèmes de la superposition, du déplacement et de l'accélération, également traités par Le Parc et le groupe. Plus récemment, ses transparences, cubes, effets moirés, structures et jeux établissent un lien distinct avec les recherches parallèles de ses amis.

La continuité de cette recherche collective est d'ores et déjà garantie par les rapports constants. entre les membres du Groupe la planification et l'établissement d'œuvres en commun et par des manifestations importantes, comme les trois Labyrinthes et la " Journée dans la rue " (démonstration d'objets isolés ou groupes qui eut lieu à différents points de Paris le 19 avril 1966 et dont la phase la plus intéressante, en ce qui concerne la participation du spectateur, se déroula devant l'église Saint-Germain-des-Prés).

Mais le facteur commun et le plus important à toutes ces recherches se trouve dans la poursuite de leurs objectifs généraux.

Sans se référer plus spécifiquement aux déclarations et manifestes du Groupe, il semble évident que les fins principales de sa recherche, et en particulier de celle de Le Parc, concernent la dévalorisation de " l'artiste " et du " chef-d'œuvre " au profit de la sollicitation du spectateur.

Selon le Groupe, les précédentes propositions esthétiques les plus révolutionnaires n'ont jamais modifié la situation entre l'artiste, le spectateur et l'œuvre d'art alors que l'objectif à longue échéance du GRAV fut de créer une situation entièrement différente dans laquelle l'œuvre d'art devenait une " proposition plastique " représentant une recherche second degré, c'est-à-dire non seulement en étant en contact direct avec l'œuvre, mais encore en observant les autres spectateurs et en participant à leur activité.

Dans ce contexte, les phénomènes visuels originels continuent à jouer un rôle important. Les phénomènes naturels, comme le mouvement et la lumière, sont également au premier plan ainsi que l'aspect de la " multiplicité " de l'objet esthétique qui peut être produit industriellement et perd ainsi son auréole de chef-d'œuvre unique.

 

Ces préoccupations furent en général partagées par l'association internationale de la Nouvelle Tendance à laquelle ont participé activement les membres du GRAV, mais une référence plus spécifique à la correspondance avec les recherches plastiques d'autres groupements anciens ou présents, dans plusieurs pays, serait plus pertinente.

Sans doute faut-il faire ressortir que la cohérence et la durée d'un groupe parait dépendre principalement de ses aspirations plastiques élémentaires. Les difficultés venant inévitablement de l'établissement d'une politique à l'intérieur de chaque groupe ne sont que considération secondaire.

Ainsi, il semble que le problème plastique de " l'interactivité spatiale " ait d'abord donné cours à un échange d'expériences intéressant à I 'intérieur du groupe espagnol Equipo 57.

Puis quand l'un de ses membres, Angel Duarte, chercha à s'exprimer principalement à l'aide de la lumière, le groupe perdit de sa cohésion. Ce groupe est maintenant dissous. Il n'aura donc pas suffi que Duarte lui-même ait tout tenté en dernier lieu pour maintenir l'existence de son groupe.

Des relations mutuelles fécondes engendrées par des problèmes plastiques peuvent être discernées dans la plupart des groupes actuels. Le groupe T de Milan se concentre sur les stimulations visuelles dans un environnement donné, le groupe N de Padoue sur les structures dynamiques et les réflexions lumineuses à l'aide de prismes, et le groupe MID de Milan sur la recherche des phénomènes stroboscopiques programmés et sonorisés.

Les relations entre lumière et mouvement donnent une grande cohésion aux groupes Zero de Düsseldorf, Dwizjenije de Moscou et USCO de New York, tandis que la mise en valeur de l'espace cinétique et l'utilisation artistique d'objets insolites dominent dans le groupe Effekt de Munich.

Mais dans chaque cas, l'aspect de recherche favorise la croissance organique du groupe par l'interaction de solutions plastiques partielles. C'est ainsi qu'un organisme peut rester vivant malgré des pressions extérieures ou des difficultés d'ordre économique, social et politique, inhérentes à toute vraie recherche et espérer que la portée de sa démarche sera finalement reconnue par les administrateurs publics.

En dépit du parallélisme de l'évolution plastique chez les membres de la plupart des groupes, on peut se demander si un facteur esthétique personnel ne peut être discerné spontanément dans les propositions ainsi présentées au spectateur.

Ce problème peut trouver une réponse paradoxale à propos de Le Parc, qu'en toute modestie et dans un but de démystification, se laisse absorber dans un groupe cédant à son tour la place à l'œuvre anonyme et à la réaction sans préjugé du spectateur. Mais ce spectateur, en réagissant allégrement aux propositions plastiques présentées réaction apparemment partagée à la surprise générale par le jury de Venise - pourrait bien y reconnaître l'esprit inventeur de l'artiste et s'écrier: " Le Parc est mort - Vive Le Parc! "

 

Franck Popper, Paris, 1966.

 

 

ATELIER LE PARC - 2014