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Des « indésirables »

Christiane Duparc, Le Nouvel Observateur, 12 juin 1968

 

 

Arrêtés dans leur voiture, au pont de Saint-Cloud, dans la nuit de jeudi dernier, 6 juin, Julio Le Parc, Hugo Demarco et Rodriguez Cibaja, peintres sud-américains de Paris, sont conduits au dépôt de Beaujon, puis, 24 heures après, a la préfecture de police, ou on leur notifie leur expulsion dans un délai de dix jours. Deux Tunisiens, étudiants en peinture, appréhendés au même endroit, sont conduits à la frontière 48 heures après. Motif ? Pas de motif. Ils se trouvaient simplement sur la route de Chartres, de Dreux, de Rouen - et aussi de Flins —quelques heures avant les manifestations.

Qui est Le Parc ? Grand Prix de la Biennale de Venise 1966 — la plus grande distinction possible pour un artiste, leader du Groupe de recherche d'art visuel, récemment décoré par Malraux de I 'ordre des Arts et Lettres, père de trois enfants, c'est un des jeunes créateurs les plus connus au monde (il a fait trente expositions personnelles en 1966-1967), un des plus sollicités par les universités américaines et allemandes (il vient de refuser une lucrative proposition de I 'Ecole des beaux-arts de Munich). II fait partie de ces artistes qui ont considérablement enrichi I 'Ecole de Paris — laquelle se compose, rappelons-le en passant, de 60 a 70% d'étrangers.

II en va de même pour Hugo Demarco — dont Denise René présente actuellement une rétrospective et qui a joue lui aussi dans l'art lumino-cinétique un rôle de premier plan. Quant a Cibaja, on a pu voir tout récemment ses travaux, galerie du Damier.

 

Les anonymes

 

Dans de nombreux pays, on s'arrache les artistes de valeur. On sait le rôle qu'ils jouent dans l'effervescence intellectuelle d'un pays, et aussi — disons-le pour les calculateurs — ce qu'ils rapportent en devises quand ils ont du succès. En France, les étrangers sont humiliés (notamment quand on renouvelle leur permis de séjour). Mais surtout, un décret de 1945 autorise le ministre de l'Intérieur à expulser, quand il le désire et sans donner de raison, tout étranger qui lui déplait. C'est le fait du prince, la lettre de cachet.

Cent cinquante artistes notoires — parmi lesquels Soulages, Matta, etc. — ont signé une pétition pour soutenir les cinq expulsés. Beaucoup d'entre eux sont des étrangers qui refusent désormais de vivre sous une telle contrainte et qui s'en iront à Londres, à Milan, a New York si Le Parc est exilé.

Encore celui-ci a-t-il pour lui d'être célèbre. Ce n'est pas le cas de tous les anonymes qu'on reconduit chaque matin a la frontière.

 

Christiane Duparc, Le Nouvel Observateur, 12 juin

 

 

 

 

ATELIER LE PARC - 2014