Interview Julio Le Parc

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Questions a Le Parc

Interview publié dans le premier numéro de Robho en juin 1967.

 

ROBHO. — Parti d'une idée collective de l'art, vous affirmant contre « l'artiste unique et inspiré », vous faites pourtant carrière, à la manière d'un artiste classique. N'y a-t-il pas la contradiction ?

 

LE PARC. — Oui. Mais il est vrai aussi que toute question formulée implique une réponse et question et réponse se retrouvent insérées dans un schéma fixe. Or, la réalité n'est pas schématique et un oui peut valoir un non selon les circonstances.

 

ROBHO. — Le Prix de Venise, consécration traditionnelle de l'artiste individuel, vous a été offert en 1966 et vous ne l'avez pas refusé. Vous n'avez pas non plus fait de déclaration contre ce prix. Pourtant, n'était-ce pas un piège qui vous était tendu par le milieu de la peinture, un piège qui permettait de vous récupérer ?

 

LE PARC. — Refuser le prix de Venise ne pouvait être fait qu'á titre individuel. Cela exigeait une attitude conséquente. Avant de refuser le Prix, il aurait fallu refuser de participer à la biennale. Refuser de participer a la Biennale équivalait à refuser toute manifestation publique du circuit artistique. En conséquence, pas besoin d'avoir une production si on ne cherchait pas le contact avec le public. D'ou — a la limite — inutilité de toute recherche et confirmation dans une blanche position puriste.

Je n'ai donné ni peu ni beaucoup d'importance à ce Prix. Si l'on veut, il y a une certaine complaisance de ma part à faire plaisir à mes amis, à mes compatriotes, a ceux qui avaient confiance en moi. Je suis allé à Venise et loin de moi l'idée d'y gagner un prix. Il est probable que si cette éventualité avait été analysée au sein du Groupe de Recherche d'Art Visuel, je n'aurais pas été surpris comme je l'ai été — et peut-être aurais je pu tirer parti de la situation d'une autre manière. Le tonus à l'intérieur du Groupe ne peut pas être toujours à son niveau maximum. Le Groupe est composé d'individus qui en même temps qu'ils apportent parmi nous leurs travaux, leurs idées, leurs initiatives, apportent aussi leurs propres contradictions, selon chaque situation particulière. Evidemment, on peut considérer le Prix de Venise comme un piège. On est continuellement soumis à des pièges — de l'extérieur comme de soi-même. Si une situation négative ne peut être changée en situation positive, on la laisse en veilleuse jusqu'à avoir assez de lucidité pour la dominer et en tirer les conséquences.

Toujours, devant les sollicitations de l'extérieur, il y a des choix à faire. Je crois que le Prix de Venise que j'ai reçu peut être négatif aussi bien que positif. La réalité, c'est que je I 'ai accepté parce que je ne pouvais rien faire d'autre. Ce peut être un événement assez important dans l'évolution de ma démarche et celle du Groupe. Mais pas plus important que certains manques d'initiative, que certaines indécisions, que d'autres compromis. Il est bien de déceler nos contradictions. Mais il faut placer notre démarche dans le réel et savoir faire la balance entre possibilités et limitations. Surtout: il faut la voir comme une étape vers d'autres situations.

 

ROBHO. — Par votre succès personnel, n'enlevez-vous pas tout sens à l'idée de Groupe ?

 

LE PARC. — Peut-titre. Mais, surtout, c'est mettre en question une conception assez idéaliste du Groupe. En fait, on ne peut pas considérer notre Groupe (composé de six membres) comme un septième membre, comme une entité. Chacun de nous a sa part de responsabilité dans ce que nous faisons comme dans ce que nous ne faisons pas.

Mon « succès personnel », que j'associe toujours au Groupe, peut être aussi un stimulant Personnellement, je cherche à obtenir que le Groupe fasse le maximum, mais il faut tenir compte d'un ensemble de limitations, surtout quand pour faire marcher le Groupe, il faut un travail précis qui prends un temps bien réel de chaque membre et des efforts personnels.

 

ROBHO. — On vous accuse de faire de petits objets, des gadgets, des dessus de cheminée. N'est-ce pas une manière de vous insérer dans le commerce ?

 

LE PARC. — Peut-être. C'est une façon d'apprécier certaines de mes recherches. Si c'est s'insérer dans le commerce que de tirer de la société dans laquelle nous vivons assez de moyens pour poursuivre notre démarche — alors oui, je m'insère dans le commerce, comme d'autres le font en fabriquant d'autres choses (critiques d'art, voitures d'enfants, photos, chaussures, films, etc.). Je crois que notre démarche doit trouver sa place socialement; pendant que les rapports sont en train de changer, il faut se plier à la réalité et, tout en tirant parti d'elle, contribuer à produire des changements.

II est à remarquer d'ailleurs, concernant les petits objets, que c'est souvent l'accumulation qui contribue à libérer le spectateur. II faut le faire entrer peu à peu dans l'esprit de l'ensemble et opérer, grâce au nombre, une transformation psychologique. A Venise, j'avais entassé de nombreux objets pour dévaloriser chacun d'entre eux et créer l'effet général. J'aurais pu isoler chaque pièce sur un mur blanc et limiter ma démonstration a dix objets. Or il y en avait 42, mélangés. II s'agissait de se détacher de chaque objet pour réagir à la multiplicité des sollicitations. En général, l'accumulation fait que le spectateur entre plus facilement dans le problème, et accroit sa participation. Très vite, il devient familier de l'esprit de l'œuvre. II se met à l'aise, décontracté.

 

ROBHO. — Hostile à la conception traditionnelle de l'art et de l'artiste, vous vous insérez néanmoins dans le circuit économique qui y correspond. Vous êtes attaché à une galerie commerciale, vous n'exposez que dans ce cadre. N'y a-t-il pas la contradiction ?

 

LE PARC. — Oui, et je ne cherche pas à me justifier. Des positions extrêmes peuvent être soutenues seulement dans l'abstrait et dans la passivité — ce qui peut entrainer une complicité involontaire avec ceux qu'on combat. Inséré dans la réalité, il faut une souplesse d'action.

Affirmer que je n'expose que dans le cadre d'une galerie commerciale est faux. D'ailleurs, il ne s'agit pas seulement d'exposer. Le problème, en ce qui me concerne, peut être vu de deux façons et ma démarche au sein du Groupe de Recherche d'Art Visuel à été orientée dans ce double sens. D'une part, mettre en évidence les contradictions de la situation de l'art actuel — et nous avons commencé par prendre conscience de nos propres contradictions (contradictions qui par ailleurs évoluent : aujourd'hui, en 67, elles ne sont pas les mêmes qu'en 1960 quand nous avons fondé le Groupe). D'autre part et parallèlement, on a cherché a produire autre chose que le tableau de chevalet pour lequel nous avions été préparés, autre chose et d'une autre manière, en créant une distance entre la chose faite et le réalisateur, pour réduire la distance entre la chose faite et le contemplateur.

J'ajoute que pour qui connait les déclarations du Groupe, une question semblable est mal venue. Le Groupe a toujours été conscient de ce que sa démarche devait se développer au sein de l'activité artistique en prenant les risques que cela comportait. Ce n'est pas notre faute si nous sommes victimes d'une sorte d'aberration.  Comment pourrions-nous quitter le milieu artistique ? Pour aller ou ? Chez les architectes ? Chez les médecins ? Chez les scientifiques ? Nous n'y serions pas accueillis. A la Foire du Trône? Mais eux aussi ont leurs conditionnements. C'est encore dans une Biennale d'Art que nous mettons le mieux en question ce qui se fait autour de nous. C'est la que nous contestons le mieux. Le spectateur vient de s'emmerder devant des centaines de fastidieuses « peintures » ou se sont exprimés quantité de génies, de torturés (le gars s'étale : « voila ce que je suis, voila ce que je sens : c'est moi... regardez-moi... »). Quand ils arrivent chez nous, ils vivent un autre moment, un type de dialogue. Ils participent. Pour la première fois, paradoxalement, la nouveauté peut être directement assimilée par un public de non-initiés.

 II y a toujours eu distance entre l'art et le public c'est l'Art qui était le coupable, pas le public. Il faut accélérer le processus d'assimilation. C'est ce que les « artistes » ne comprennent pas. IIs ne comprennent même pas qu'ils sont conditionnés. Qu'ils obéissent à des schémas préparés. Comment devient-on peintre par exemple ? Il y a un modèle collectif du peintre. Sa carrière sur une voie préparée a l'avance selon des archétypes créés avant lui. Même sa silhouette, son type social sont préconçus. Même sa conception de la peinture lui est dictée. On lui a dit qu'il avait pour mission de créer l'œuvre monologue, alors que l'œuvre dialogue est possible tout autant. Un jour, vers 28-30 ans, nous nous sommes dit : « Nous voici les pinceaux à la main... faut-il conquérir cette petite gloire, entrer dans les collections, se battre pour réussir ? Cela nous a paru dérisoire, vieillot, dépassé. Alors nous avons essayé de faire autre chose. Ce qui nous a frappés par exemple, c'est que dans le système actuel, même le message le plus évident du peintre est falsifié. Regardez par exemple destin de l'Op Art. II a été généralisé, mais a quel prix... Alors que des hommes comme Albers ou Vasarely pensaient aborder les problèmes aussi intéressants que la mobilité et l'instabilité de la surface, l'Op Art s'est répandu dans la mode: il est devenu une certaine manière de faire des taches jolies. Une variété de costumes à rayures. Le message profond a été récupéré à des fins commerciales et vidé de son sens. Quand Averty prend un tableau de Vasarely et le met comme toile de fond pour une de ses émissions (avec au générique : avec la collaboration involontaire de Vasarely »), il dénature le sens, il donne un coté décoratif. II ne reste rien du fameux message de l'artiste.

 

ROBHO. — Vous vendez à la fois des œuvres originales et des multiples. Ont-elles des fonctions différentes ?

 

LE PARC. — Une œuvre originale peut avoir des fonctions différentes. Un multiple peut avoir des fonctions différentes. Je ne vends rien personnellement. II y a des gens qui achètent mes choses, ils s'adressent à la galerie.

En outre, toutes mes œuvres peuvent titre multipliées, même par d'autres que moi — et en mieux... Ca fait partie intrinsèque d'une démarche ou l'intervention manuelle, personnelle de l'auteur n'a aucun sens. Quittant le schéma traditionnel d'appréciation qui cherche dans l'art le définitif et l'eternel, on peut voir les multiples comme une solution pour une étape intermédiaire.

 

ROBHO. — Vous employez un matériel apparemment fragile. Est-ce que vos œuvres sont faites pour durer ? Ou ne durent-elles que le temps d'affirmer une proposition ?

 

LE PARC. — Mes œuvres sont faites. Elles durent et ne durent pas. En outre, je les appelle surtout recherches. De cette façon, elles ont moins prétention à l'immortalité. Dans la plupart de mes recherches, les contingences extérieures — Iumières, etc. — jouent un rôle très important. On peut donc dire qu'elles n'existent que quand le rapport entre les éléments et les contingences extérieures se fait. Et si le spectateur peut être considérer comme une part de ces contingences extérieures, on peut dire qu'avec des matériaux fragiles comme avec des matériaux solides, mes œuvres ne durent que le temps d'un regard.

 

ROBHO. — Vous tendez, dit-on, vers les groupes de spectateurs. Qu'est-ce que cela veut dire ?

 

LE PARC. — Cela fait partie d'un désir d'ouverture. II s'agissait au départ de faire évoluer le spectateur passif, dépendant, qui avait devant lui une œuvre fixe et définitive. On a d'abord essayé d'établir des rapports directs — non esthétiques — avec son œil. On a fait disparaitre tout message individuel et subjectif. Puis on a sollicite le spectateur avec divers degrés de participations plus ou moins actives. Aujourd'hui, la démarche peut être continuée. Dans les nouvelles situations que nous proposons, la participation individuelle peut avoir une incidence sur le reste des spectateurs, de façon à produire une interaction. Ainsi la situation obtenue peut être le produit d'une action collective. Le rôle de l'artiste fabricant d'objets à consommation individuelle peut évoluer et se développer dans cette direction.

Certes, au départ, les groupes de spectateurs peuvent être agressifs les uns vis-à-vis des autres. C'est le fait des rapports d'agressivité qui existent à l'intérieur de la société tout entière. Mais l'esprit de ridicule n'est pas le fond de l'homme. II évolue— peut-être dans le bon sens. II ne verra pas toujours le ridicule dans l'activité de la salle de jeux. Peut être s'agit-il de retrouver certains états des sociétés primitives ou le sens du collectif n'était pas perdu (alors qu'il l'est dans le monde développé d'aujourd'hui).

Nous avons nos parodies de collectivités mais pas les collectivités réelles : un match de football correspond chez les spectateurs à une expulsion purement nerveuse. Il n'y a sur les gradins que 100 000 solitaires. Pas de communication entre eux. Ou alors elle se fait pour l'apologie de tel ou tel héros : celui du village, du pays, du continent, ou de la race. Avoir un champion, se projeter dans un héros... Ce que nous voudrions suggérer avec nos salles de jeux c'est exactement le contraire : l'univers de la fête.

Déjà en 1963, nous écrivions : « Le but final est de sortir I 'homme de sa dépendance- passivité- et de son habitude des loisirs généralement individuels pour l'engager dans une action qui déclenche ses qualités positives dans un climat de communication et d'interaction ».

Parmi nos projets, il y a celui-ci : aménager un autobus de la R.A.T.P. et faire une tournée dans toute la France. On y mettrait des panneaux dépliables qu'on installerait à l'intérieur et tout autour. Un « autobus labyrinthe » ! Les vieux autobus ne coutent que 2 000 francs. Ils roulent à trente à l'heure. Si on avait un seul véhicule comme ceux qu'utilisent les cirques gigantesques : Pinder, Bouglionne, etc., si on s'arrêtait tous les jours dans une ville différente, même si on s'associait à la tournée d'un chanteur connu, comme Antoine ou Johnny Hallyday, on toucherait un tout autre public. On aurait des papiers pour expliquer notre position, pour mettre en évidence le divorce entre l'art et le public; pour souligner le coté fermé, antipopulaire de l'art actuel. C'est une chose que nous voudrions faire.

 

 

 

Cuestiones a Le Parc

Entrevista Publicada En El Primer Numero De Robho En Junio 1967

 

 Robho: A partir de una idea colectiva del arte, aunque usted está contra "el artista único e inspirado", actúa como un artista clásico. No hay en esto una contradicción?

 

Le Parc: Si. Pero también es cierto que toda pregunta formulada implica una respuesta; pregunta y respuesta se insertan en un esquema fijo. Pues la realidad no es esquemática y un sí puede ser un no según las circunstancias.

 

Robho: A usted se le ha ofrecido el Premio de Venecia, consagración tradicional del artista individual, y no lo ha rechazado. Ni siquiera ha hecho una declaración contra ese Premio. No habrá sido una trampa que le tendió el medio artístico, una trampa que le permitiera recuperarse?

 

Le Parc: No hubiera podido rechazar el Premio de Venecia sino a título individual. Esto exigía una actitud consecuente. Antes de rechazar el Premio, hubiera debido rechazar la participación en la Bienal. Rehusarse a participar en la Bienal equivalía a rehusar toda manifestación pública del circuito artístico. En consecuencia, no habría necesidad de producir si no se buscara el contacto con el público. De donde a la postre, la inutilidad de toda investigación y el confinamiento en una inmaculada posición purista. Yo no he dado ni poca ni mucha importancia a este Premio; si se quiere, hay una cierta complacencia de mi parte en dar gusto a mis amigos, a mis compatriotas, a los que tuvieron confianza en mí. Yo fui a Venecia y estaba lejos de pensar en que obtendría un premio. Es probable que si esta eventualidad hubiera sido analizada en el seno de nuestro grupo, no hubiera sido sorprendido como lo fui, y quizás hubiera podido sacar partido de la situación de otra manera.

El tono en el interior del grupo no puede estar siempre en nivel máximo. El grupo está compuesto por individuos que al mismo tiempo que aportan entre nosotros sus trabajos, sus ideas, sus iniciativas, aportan también sus propias contradicciones, según cada situación particular. Evidentemente se puede considerar el Premio de Venecia como una trampa. Se está continuamente sometido a trampas, del exterior como de uno mismo. Si una situación negativa no puede transformarse en situación positiva, se la deja en observación hasta tener bastante lucidez como para dominarla y sacar las consecuencias.

Siempre, ante las solicitudes del exterior, hay que seleccionar. Creo que el Premio de Venecia que he recibido puede ser negativo tanto como positivo. En realidad, lo he aceptado porque no tenía otro remedio. Puede ser un acontecimiento bastante importante en la evolución de mi carrera y la del grupo. Pero no más importante que ciertas faltas de iniciativa, que ciertas indecisiones, que otros compromisos. Está bien que denunciemos nuestras contradicciones. Pero hay que ubicar nuestra diligencia en lo real y saber hacer el balance entre las posibilidades y las limitaciones. Sobre todo hay que verla como una etapa hacia otras situaciones.

 

Robho: Por su éxito personal, no quita usted todo sentido a la idea de grupo?

 

Le Parc: Quizás. Pero, sobre todo. es poner en duda una concepción bastante idealista del grupo. De hecho, no se puede considerar a nuestro grupo (compuesto por seis miembros) como un séptimo miembro, como una. entidad. Cada uno de nosotros tiene su parte de responsabilidad, por lo que hacemos y lo que no hacemos. Mi «éxito personal», que yo asocio siempre al grupo, puede ser también un estimulante. Personal­mente, trato de obtener que el grupo rinda al máximo, pero hay que tener en cuenta un conjunto de limitaciones, sobre todo si para hacer marchar el grupo es necesario un trabajo preciso, que toma tiempo real de cada miembro y esfuerzos personales.

 

Robho: Se le acusa de hacer pequeños objetos, fruslerías, adornos de chimeneas. No es una manera de entrar en el comercio?

 

Le Parc: Quizás. Es una manera de apreciar algunas de mis búsquedas. Si entrar en el comercio es extraer de la sociedad en que vivimos bastantes medios como para proseguir nuestro designio, entonces me incluyo en el comercio, como otros lo hacen fabricando otras cosas (críticas de arte, cochecitos para niños, fotografías, zapatos, filmes, etc.). Creo que nuestra dili­gencia debe encontrar su lugar socialmente; mientras las rela­ciones están cambiando es necesario plegarse a la realidad y sacando partido de ella, contribuir a producir cambios. Hay que señalar, además, con respecto a los pequeños objetos, que a menudo la acumulación contribuye a liberar al espectador. Es necesario hacerlo entrar poco a poco en el espíritu del conjunto para operar, gracias al número, una transformación psicológica. En Venecia, había acumulado numerosos objetos para desvalorizarlos y crear el efecto general. Hubiera podido aislar cada pieza contra un gran muro blanco y limitar mi demostración a diez objetos. Pero había cuarenta y dos, mezclados. Se trataba de desprenderse de cada objeto para reaccionar de acuerdo con la multiplicidad de solicitaciones. En general, la acumulación hace que el espectador entre más fácilmente en el problema y acreciente su participación. Muy rápidamente se familiariza con el espíritu de la obra. Se siente cómodo, relajado.

 

Robho: Hostil a la concepción tradicional del arte y del artista, usted se incluye sin embargo en el ámbito económico que corresponde a ella. Usted está ligado a una galería comercial, exponiendo sólo allí. No es una contradicción?

 

Le Parc: Sí y no trato de justificarme. Las posiciones extremas pueden sostenerse solamente en campo abstracto y pasivo, lo que puede dar lugar a una complicidad involuntaria con quienes se combate. Incluido en la realidad, es necesario tener flexibilidad de acción. Afirmar que expongo solamente en una galería es falso. Además, no se trata sólo de exponer. El problema, en lo que a mí respecta, puede ser visto de dos maneras y mi acción en el seno del Groupe de Recherche d'Art Visuel ha sido orientado en ese doble sentido. Por un lado, poner en evidencia las contradicciones de la situación actual del arte y hemos comenzado por tomar conciencia de nuestras propias contradicciones (contradicciones que, además, evolucionan hoy, en 1967, no son las mismas que en 1960 cuando fundamos el grupo). Por otro lado, y paralelamente, se ha tratado de producir otra cosa que el cuadro de caballete para el cual habíamos sido preparados, otra cosa y de otra manera, poniendo distancia entre la cosa hecha y el realizador, para reducir la distancia entre la cosa hecha y el contemplador. Agrego que para quien conoce las declaraciones del grupo, semejante cuestión es mal recibida. El grupo ha sido siempre consciente de que su acción debía desarrollarse en el seno de la actividad artística, aceptando los riesgos que implicaba. No es culpa nuestra si somos víctimas de una especie de aberración. Cómo podríamos abandonar el medio artístico Para ir a dónde, al medio de los arquitectos, al de los médicos, al de los hombres de ciencia, No. seríamos acogidos. «A la Foire du Trone» Ellos tienen también sus exigencias. Es precisamente en una Bienal de Arte donde nosotros mejor cuestionamos lo que se hace a nuestro alrededor, allí donde frente a centenares de "pinturas" fastidiosas donde se han expresado cantidades de genios, de torturados (el muchacho abiertamente se franquea: "Esto es lo que yo soy, esto es lo que yo siento: soy yo, mírenme"). El espectador cuando llega a nosotros vive otro momento, otro tipo de diálogo. Participa. Por primera vez, paradójicamente, la novedad puede ser asimilada directamente por un público de no iniciados. Siempre ha habido distancia entre el arte y el público: el Arte era culpable, no el público. Es necesario acelerar el proceso de asimilación. Es lo que los "artistas" no comprenden. Ni siquiera comprenden que son condicionados. Que obedecen a esquemas preparados. Cómo se llega a ser un pintor, por ejemplo hay un modelo colectivo de pintor. Su carrera evoluciona en una vía preparada de antemano según arquetipos creados antes que él. Hasta su silueta, su tipo social, son preconcebidos. Aún su concepción de la pintura le es dictada. Se le ha dicho que tenía por misión crear la obra como monólogo, en tanto que la obra como diálogo es también posible. Un día, hacia los veintiocho o treinta años, nos dijimos: "Aquí estamos con los pinceles en la mano... Es necesario conquistar esta pequeña gloria, entrar en las colecciones, luchar para triunfar" Esto nos pareció irrisorio, viejo, superado. Entonces ensayamos otra cosa. Lo que nos chocó, por ejemplo, es que aún el mensaje más evidente del pintor es falsificado en el sistema actual. Observen por ejemplo el destino del Op Art. Ha sido generalizado, pero a qué precio... Mientras hombres como Albers y Vasarely pensaban abordar problemas tan interesantes como la movilidad y la inestabilidad de la superficie, el Op Art se extendió como moda: se convirtió en una cierta manera de hacer bonitas manchas. Una variedad de ropas a rayas. Cuando Averty toma un cuadro de Vasarely y lo utiliza como tela de fondo para una de sus emisiones (diciendo: "con la colaboración involuntaria de Vasarely") desnaturaliza su sentido, haciéndolo decorativo. No queda nada del famoso mensaje del artista.

 

Robho: Usted vende al mismo tiempo obras originales y múltiples. Tienen funciones diferentes?

 

Le Parc: Una obra original puede tener funciones diferentes. Un múltiple puede tener funciones diferentes. Yo no vendo nada personalmente. Hay gente que compra mis cosas, ellos se dirigen a la galería. Además, todas mis obras pueden ser multiplicadas hasta por otro que no sea yo, y mejor... Esto forma parte intrínseca de una acción en que la intervención manual, personal del autor, no tiene sentido en absoluto. Dejando de lado el esquema tradicional de apreciación que busca en el arte lo definitivo y lo eterno, se pueden ver los múltiples como una solución en una etapa intermedia.

 

Robho: Usted emplea un material aparentemente frágil. Sus obras son hechas para durar o duran solamente para afirmar una proposición?

 

Le Parc: Mis obras son hechas. Duran y no duran. Además, yo las denomino especialmente «investigaciones». De esta manera tienen menos pretensión de inmortalidad.

En la mayor parte de mis investigaciones, las contingencias exteriores-luz, etc., desempeñan un papel muy importante. Se puede, por lo tanto, decir que no existen sino cuando la relación entre los elementos y las contingencias exteriores se realiza. Y si el espectador puede ser considerado como una parte de esas contingencias exteriores, se puede decir que con materiales frágiles como con materiales sólidos, mis obras duran sólo el momento de una mirada.

 

Le Parc: Eso forma parte de un deseo de apertura. Se trataba al principio de hacer evolucionar al espectador pasivo, dependiente, que tenía delante de él una obra fija y definitiva. Se trató en un principio de establecer relaciones directas -no estéticas -con su ojo. Se hizo desaparecer todo mensaje individual y subjetivo. Después se solicitó al espectador diversos grados de participación más o menos activa. Hoy la acción puede ser continuada. En las nuevas situaciones que propone­mos, "la participación individual puede incidir en el resto de los espectadores para que se produzca una interacción". Así la situación obtenida puede ser el resultado de una acción colec­tiva. El papel del artista fabricante de objetos para la consumición individual puede evolucionar y desarrollarse en esta dirección. Ciertamente, al principio, los grupos de espectadores pueden ser agresivos unos con otros. Son las relaciones agresivas que existen en el interior de toda sociedad. Pero el sentido del ridículo no es el fondo del hombre. El evoluciona, quizás en el buen sentido. No verá siempre lo ridículo en la actividad de la sala de juego. Quizá se trate de recuperar ciertos estados de las sociedades primitivas, donde el sentido de lo colectivo no se ha perdido (ya que se ha perdido en el mundo desarrollado de hoy).

Nosotros tenemos parodias de colectividad, pero no colectividades reales: un match de football corresponde en los espectadores a un desahogo puramente nervioso. No hay sobre las gradas más que cien mil solitarios. No hay comunicación entre ellos. O ella se entabla por la apología de tal o cual héroe: del pueblo, del país, del continente, o de la raza. Tener un campeón, proyectarse en un héroe... Lo que quisiéramos sugerir con nuestras salas de juego es exactamente lo contrario: el universo de la fiesta... Ya en 1963 escribíamos: "El fin es sacar al hombre de su dependencia-pasividad y de su costumbre de placeres generalmente individuales, para comprometerlo en una acción que desencadene sus cualidades positivas en un clima de comunicación y de interacción". Entre nuestros proyectos está el siguiente: arreglar un viejo ómnibus de la R. A. T. P. y hacer un recorrido por toda Francia. Se pondrían paneles desplegables que se instalarían en el interior del ómnibus y alrededor del mismo. Un "ómnibus laberinto". Los viejos ómnibus cuestan sólo dos mil francos. Andan a treinta kilómetros por hora. Si tuviéramos un solo vehículo como aquellos que utilizan los circos gigantescos: Pinder, etc.; si paráramos todos los días en una ciudad diferente, y si hasta nos asociáramos durante el viaje con un cantante conocido como Antoine o Johnny Hallyday se llegaría a otro público. Tendríamos volantes para explicar nuestra posición, para poner en evidencia el divorcio entre el. arte y el público; para subrayar el carácter cerrado, anti popular del arte actual. Es algo que querríamos hacer, uno de nuestros proyectos.

 

 

ATELIER LE PARC - 2014