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Julio Le Parc, l'indésirable du pont de Saint-Cloud

 

Otto Hahn, L'Express, 1968.

 

De nombreux étrangers arrêtés la semaine dernière, alors qu'ils manifestaient, ou que l'on accuse d'avoir eu l'intention de manifester, font l'objet d'une mesure d'expulsion. Parmi eux plusieurs artistes, dont Hugo Demarco et Julio Le Parc, tous deux argentins.

Julio Le Parc, internationalement connu depuis qu'il reçut, a 38 ans, en 1966, le Grand Prix de la Biennale de Venise, revenait du Mexique, ou il avait inauguré une exposition.

II n'était à Paris que depuis deux jours et découvrait avec surprise, avec passion, le nouveau visage de sa capitale d'adoption.

Julio Le Parc voit dans la diffusion des multiples une démocratisation de l'art. Avec le Groupe de recherche d'art visuel dont il est le leader, il préconise depuis six ans déjà une transformation radicale des structures artistiques et commerciales.

La révolution culturelle française ne peut donc le laisser indifférent.

Mais ni lui ni son ami Demarco ne sont de dangereux agitateurs.

La nuit des événements de Flins, ils sont arrêtés par la police, sur le pont de Saint-Cloud, pour un contrôle et conduits à Beaujon. Il n'y subissent pas de sévices, mais à leur sortie, le lendemain, ils se voient notifier un arrêté d'expulsion. Sous dix jours. Avec eux, il y a d'autres artistes : un Costaricain, deux Tunisiens. Ces deux derniers ont vingt-quatre heures pour regagner leurs pays.

Dans les milieux artistiques, la nouvelle se répand. Immédiatement, Victor Vasarely téléphone à M. Bernard Anthonioz, à la direction des Arts et Lettres. M. Jacques Lassaigne, président international des critiques d'art, prend contact avec M. René Capitant, le garde des Sceaux. M. André Malraux s'émeut. M. Raymond Marcellin, le nouveau ministre de l'Intérieur, qui a signé l'arrêté d'expulsion, essaie d'arranger les choses.

Le poids des noms. Six ministres, au moins, s'occupent de l'affaire, dont M. Michel Debré, alerte par son frère, le peintre Olivier Debré, qui vient d'exposer au musée Galliera.

Car l'affaire est grave. D'abord pour les deux intéressés, qui n'ont commis aucun délit. II s'agit de peintres cinétiques qui ont besoin, pour travailler, d'atelier, de machines, d'assistants. Seront-ils contraints de s'exiler de nouveau ? De déraciner leurs familles ? De divorcer malgré eux d'un pays qu'ils ont choisi? Mais l'affaire est surtout grave pour Paris, creuset d'une culture internationale qui, depuis 1900, polarise les artistes du monde entier. Picasso, Chagall, Modigliani, Pascin, Soutine, Hartung, Miro sont quelques-uns de ces étrangers, ou ex-étrangers, a qui Paris doit une partie de sa gloire.

Tous ces artistes, connus et inconnus, risquent de ne plus se sentir en sécurité si l'arrêté d'expulsion n'est pas rapporté. II ne s'agit pas de demander un statut privilégie pour l'artiste, mais de ne pas prendre des décisions aussi graves pour des motifs aussi futiles que la traversée du pont de Saint-Cloud.

Jeudi dernier, malgré la sympathie de six ministres, rien de positif n'était encore fait, et l'on n'avait pas encore réussi à découvrir de qui dépendait l'annulation du décret.

Les artistes, à leur tour, ont décidé de faire entendre leur voix : Max Ernst, Pierre Soulages, Edouard Pignon, Nicolas Schoffer, le comité du Salon de Mai et bien d'autres apportent à cette protestation le poids de leur nom.

 

Otto Hahn, L'Express, 1968.

 

 

 

 

ATELIER LE PARC - 2014