Interview Julio Le Parc

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Entretien

Hans Ulrich Obrist - 2013

 

Vous préparez une grande exposition au palais de Tokyo, ainsi qu’un livre sur votre travail. Avez-vous déjà travaillé sur des livres d’artiste auparavant ?

 

J’ai fait un petit livre mais je ne sais pas si c’est vraiment un livre d’artiste… Historieta, je vais vous le montrer… C’est un livre pour lequel j’ai fait des dessins et des textes.

 

Et ces dessins sont quasiment des animations…

 

Oui, ensuite mon fils Gabriel en a fait un film. Le texte reprend des réflexions initiées depuis longtemps. Puis j’ai fait des diapositives, que je projetais dans les expositions, et j’ai continué à travailler comme ça autour du texte, jusqu’à ce

qu’il soit édité.

 

Et pourquoi ce titre, Historieta ?

 

Parce que c’est comme une histoire, mais un peu satyrique, pas une véritable histoire…

 

Une histoire satyrique sur le monde de l’art, la société ?

 

Oui, sur les artistes, leurs interrogations, le marché de l’art… Ce sont des réflexions qui m’accompagnent depuis longtemps…

 

Existe-t-il une animation, un film à partir de ce livre ?

 

Oui, avec mes décors, mes personnages et mes textes nous avons fait une vidéo.

 

En effet, l’origine d’Historieta remonte bien loin, aux années 1950, lorsque vous étiez étudiant aux beaux-arts de Buenos Aires et que vous aviez animé le mouvement étudiant. Vous dites ici « nous avions occupé jour et nuit les écoles » etc. Mais commençons par le début, je suis toujours curieux de cela : comment en êtes-venu à l’art ?

L’art est-il venu vers vous ? Y a-t-il eu une sorte d’épiphanie, un éveil soudain ?

 

Lorsque j’étais enfant, je m’ennuyais un peu à l’école primaire, la grammaire, les devoirs ne m’intéressaient pas… Je ne me sentais bien que lorsque la maîtresse d’école me demandait de dessiner les héros de la république sur le tableau noir, à l’occasion des fêtes nationales. Je me débrouillais pas mal en dessin, et une institutrice a dit un jour à ma mère qu’il fallait

m’orienter vers l’art. Et puis le temps a passé… C’était pendant mon enfance à Mendoza ; c’est loin Mendoza, à 1000-1200 km de Buenos Aires, au pied de la cordillère des Andes. Quand nous sommes arrivés à Buenos Aires avec ma mère, on m’a cherché un poste d’apprenti pour permettre à la famille de gagner un peu d’argent ; j’avais à l’époque quelque chose comme quatorze ans. Un jour, nous sommes passés à côté de l’Académie des Beaux Arts, qui se trouvait près de chez nous, et ma mère s’est souvenue de ce qu’avait dit l’institutrice. Nous sommes allés nous renseigner, voir ce qu’il était possible de faire. On nous a expliqué qu’avant d’entrer à l’Académie il fallait passer par une école préparatoire.

Alors nous sommes allés à la mutualité étudiante, où l’on se préparait à l’examen d’entrée en préparatoire. J’ai commencé à prendre des cours, et c’est là qu’il y a eu une « épiphanie », comme vous dites. Il fallait faire un dessin au charbon sur papier Ingres, cela demande toute une technique, il fallait savoir dessiner une pièce d’architecture, à partir d’un plâtre,

et j’ai ressenti un déclenchement, je me suis dit que c’était cela que je voulais faire. J’avais 14 ans. J’étais tellement content, c’était la première fois que je mettais mon nom en bas d’une œuvre. Et l’un des étudiants plus âgé, quelqu’un de très bien, m’a alors donné ma première leçon artistique en me suggérant de gommer ma signature, parce que l’important était selon lui ce que l’on dessine, et non pas la signature. Il n’a pas tellement développé, mais j’ai tout de suite compris. Alors qu’après, dans le monde de l’art, ce qui prédomine c’est la signature…

 

Une nouvelle épiphanie, en quelque sorte…

 

Oui, exactement. J’ai donc effacé ma signature, et j’ai continué à dessiner, je ne voulais rien faire d’autre. J’ai continué les cours à la mutualité, tout en travaillant pendant la journée. J’ai pu me préparer à l’examen, et j’ai eu la chance d’être pris à l’école, tout le monde ne le pouvait pas. J’ai continué à travailler pendant la journée dans une petite usine, et le soir

j’allais à l’école préparatoire.

 

Lorsqu’on lit le texte que vous avez écrit pour Historieta, vous dites qu’à l’époque régnait « un climat de contestation »…

 

Ah ça c’était plus tard…

 

À quel moment exactement ?

 

En 1953. Mais dans les années 1940, lorsque je suis entré à l’école des beaux-arts il y avait à Buenos Aires le groupe Art Concret-Invention que je trouvais très intéressant. Moi, j’étais à la préparatoire, une école académique où l’on continuait à dessiner des choses en plâtre, des figures, des copies des grandes sculptures grecques, le David de Michel Ange, etc. Avec mes amis de l’école nous allions voir des expositions, visiter les musée. Nous voulions tout voir, tout connaître. Parallèlement à cette découverte du mouvement Art Concret- Invention, en deuxième ou troisième année d’école, on a eu comme professeur Lucio Fontana, un artiste argentin, même si tout le monde pense qu’il est italien. Il était professeur, et moi je faisais partie des élèves des cours du soir.

 

Quel effet cela faisait-il d’être l’élève de Lucio Fontana, que vous a-t-il raconté ?

 

J’ai écrit un petit texte là-dessus, c’était quelqu’un de très simple et qui inspirait le respect, une attirance. Dans d’autres cours les élèves chahutaient le professeur, faisaient des blagues quand il se retournait… Moi j’étais contre, mais les autres camarades chahutaient sans cesse, sauf avec lui, Fontana. Il ne demandait rien, il était probablement là pour gagner de l’argent, et son cours portait sur le moulage, les plâtres, mais je ne me souviens plus tellement de ça. En revanche, je me souviens qu’il parlait et, petit à petit, il expliquait des choses, ses idées ; c’est d’ailleurs le moment du manifeste blanc. Ce n’est pas lui qui l’a signé, mais c’est lui qui l’a inspiré. Et nous, nous étions avec lui, on parlait, on discutait ses idées, on était très enthousiastes autour de lui.

 

Il y avait aussi le groupe Madí ?

 

Madí, c’est un dérivé du groupe Art Concret-Invention, animé par Thomas Maldonado.

 

Oui, j’ai fait un livre d’entretien avec Maldonado.

 

Ce qui était important aussi, et qui m’a fait beaucoup réfléchir, c’est qu’il y avait à cette époque à Buenos Aires des artistes dans la lignée des muralistes mexicains, ils s’appelaient Spilmero, Antonio Vera, Casanieno, Lucho. C’étaient des gens de gauche, et eux s’exprimaient par la figuration. Ils voulaient mettre en évidence les injustices sociales, l’exploitation et l’avenir radieux des luttes. Le groupe Art Concret-Invention, c’était des formes géométriques et des couleurs pures, mais eux aussi se disaient de gauche, se réclamaient du marxisme, de la dialectique, et disaient qu’on pouvait intervenir par la couleur et les formes pures sans passer par la figuration. Pour moi c’était très important ces

réflexions. Il y avait la même dénonciation d’une société injuste, les mêmes aspirations au changement, et l’opposition de deux formes d’expression.

 

Pour Fontana c’était aussi le moment du spatialisme, de ses installations, cette époque où il expérimentait autour de l’idée d’aller dans des environnements.

 

À l’époque il développait ces idées, elles sont dans le manifeste blanc, mais lui-même était encore figuratif, très bon sculpteur d’ailleurs, mais dans la figuration.

 

Ses idées étaient donc plus avancées que son art ?

 

Oui. J’allais à ses expositions, il faisait ses terracotta, que tu connais, et dans les salons il gagnait des prix avec des personnages très réalistes, dans la lignée de Rodin. Mais ses idées, il les avait en tête, il les développait, il en discutait avec nous. Quand est venu le moment de signer le manifeste, je suis le seul de tout le groupe autour de Fontana à ne pas avoir voulu le faire, parce que je trouvais que nous n’étions que des étudiants, que nous faisions de petites choses, aller dessiner le dimanche… On ne connaissait même pas la peinture à l’huile, parce qu’on n’avait pas encore eu les cours sur ça, on n’en était pas arrivé là. Alors mes camarades ont essayé de faire des choses avec des cartons, des découpes, en cherchant à faire au moins l’embryon de quelque chose, et ça me paraissait essentiel, si on signait le manifeste, d’avoir quelque chose à montrer. Moi j’étais incapable en aussi peu de temps de produire quelque chose dans l’esprit du manifeste blanc, alors j’ai dit que je ne signais pas.

 

Il y avait déjà là une forme de résistance… C’est intéressant que l’on ait commencé cette conversation par Historieta, puisque cela nous mène à beaucoup d’aspects importants de votre œuvre présents dès le début, notamment cette idée d’engagement politique, d’une forme de contestation. Comment est arrivée cette dimension ? Vous êtes à l’école, avec Fontana, cet extraordinaire professeur, mais malgré ça vous n’êtes pas entièrement satisfait de la façon dont fonctionnait l’académie, de son enseignement artistique. Vous êtes mobilisé très tôt.

 

Oui. Il y a eu des étapes dans mes études, j’étais d’abord à la préparatoire avec Fontana, puis je suis passé à l’Académie, et puis j’en suis parti. Quand je suis revenu, plus tard, j’avais 21 ou 22 ans, ils ont accepté de me réincorporer alors que j’avais passé quelques années sans rien faire, d’un point de vue social, seulement des petits boulots, et puis je réfléchissais, je vivais dans une espèce de communauté qu’il y avait en haut du fleuve. Après, je suis passé par le

théâtre des Indépendants, où j’aidais en faisant les décors, de la figuration, des petites choses, et puis je suis retourné à l’école. En 1955 il y a eu un changement politique, le gouvernement de Juan Perón a été renversé par les militaires ;

c’était la Révolución Libertadora (révolution libératrice). Le gouvernement de Perón était un gouvernement démocratique, tandis que là on avait affaire à un coup d’État qui se disait démocratique, mais en réalité c’était une dictature militaire. Tous les étudiants des universités en ont profité pour émettre des revendications, et nous aussi, on a suivi, en quelque sorte ; on faisait des réunions, des assemblées, et c’est à ce moment-là que les étudiants ont commencé à s’organiser, qu’on a décidé d’occuper les écoles, les trois écoles, la Préparatoire, l’Académie et la Supérieure. Moi j’avais repris l’académie, et après un examen j’étais entré à la Supérieure. On a donc occupé les lieux, on a demandé au directeur de partir, on a mis les professeurs en disponibilité, c’était un mouvement collectif, et il y avait une tension, une répression permanente.

 

Et vous étiez inspirés par le début du XXE siècle, la Russie, les avant-gardes russes, etc. ?

 

Ce n’était pas vraiment dans l’esprit de l’école, mais on avait quand même eu un cours, avec un professeur, qui nous avait parlé de la théorie. Il y avait aussi eu des avant-gardes en Argentine, dans les années 1920 et 1930, notamment

un mouvement qui s’appelait La Réforme, à Cordoba, un mouvement qui a été très fort. Pour en revenir aux événements à l’université, les étudiants ont demandé et obtenu une gouvernance tripartite, comprenant les professeurs, les étudiants et même d’anciens étudiants, qui participaient au conseil des différentes universités.

C’était une situation dans laquelle nous avons été obligés d’inventer. On a même modifié le bâtiment, qui était très bourgeois, en y apposant des grands panneaux blancs et en invitant les artistes à venir y peindre, et à donner des cours, gratuitement, parce qu’on n’avait pas d’argent. Ensuite, on a établi une classification, c’était un peu dur, mais on a demandé à tous les étudiants de noter les professeurs : bon, très bon, mauvais, très mauvais, et indésirable…

Il y avait un côté politique, mais pas d’idéologie, contrairement à ce que voulaient les militaires, on jugeait seulement de la qualité des professeurs, pas leur orientation politique. Bien souvent les meilleurs professeurs étaient des peronistes, ceux qui donnaient les cours les plus avancés sur les théories de la couleur, du dessin etc. D’autres, favorables à la révolution, contre Perón, étaient plutôt de mauvais professeurs, académiques, qui avaient obtenu un poste et qui étaient tranquilles.

 

Vous vous trouvez donc d’abord dans cette école, où vous avez Fontana et le spatialisme comme source d’inspiration, puis il y a la dictature militaire, et avec cette résistance qui naît, vous vous trouvez dans une position de contestation. À quel moment diriez-vous que commence votre œuvre ? Où commence le catalogue raisonné ? C’est une question qui me fascine toujours. Quelle est votre première invention, le moment où vous avez trouvé votre langage ?

 

Je ne sais pas trop. Si c’est par rapport à tout ce que j’ai fait par la suite, ma première œuvre intervient plus tard, bien sûr ; mais sinon, c’est dès l’école préparatoire. J’y avais un professeur qui s’appelait Lorenzo Gil (?), je devais avoir quinze ou seize ans, c’était un professeur italien, figuratif, très sévère, qui apprenait à dessiner d’une façon très classique. On distinguait facilement ses élèves, dans l’exposition de fin d’année de l’école, car il avait un style qui luiétait particulier. Mais moi je ne me suis pas plié à sa technique, et comme il était très intelligent il m’a laissé faire, il ne m’a rien imposé. J’avais appris le dessin avec les grilles, la profondeur, comme à la Renaissance, c’était figuratif, et ces dessins pour moi c’était le début, j’avais l’impression qu’ils m’étaient singuliers. Après il y a eu les peintures, les gouaches que j’ai faites en arrivant à Paris, en 1958, avec une bourse d’étude. Avec le mouvement étudiant, où on avait réussi à chasser les gens en place, il y a eu de nouvelles nominations. L’un des trois directeurs était un graveur, très bon, et très respectueux des étudiants. Il nous a laissé travailler dans l’atelier de gravure durant les vacances d’été, et pour moi ça a été important dans le sens où ça m’a appris à purifier. On faisait des monotypes par exemple, une technique très simple : une feuille de papier, une vitre, de la couleur, un crayon, des caches. On a innové avec des monotypes abstraits, dans l’esprit Paul Klee, de Picasso, et même des choses géométriques. Si on avait fait ça à la peinture à l’huile, ça nous aurait pris quinze jours, peut-être un mois ; tandis que là, nous pouvions expérimenter, innover, dans une même journée, de façon très spontanée, ça permettait d’éliminer des choses en les visualisant.

 

Vous arrivez à Paris en 1958. Et vous m’avez dit que c’était surtout ce tableau-là, les Séquences Progressives Ambivalentes, qui était important. Quelle a été l’épiphanie à l’origine de ce travail ?

 

Quand nous étions en Argentine, avec mes amis avec qui par la suite on a fondé le GRAV, on travaillait et on réfléchissait déjà beaucoup autour des textes de Mondrian, qui étaient très intéressants. On a cherché à développer ces idées-là, et notre préoccupation était de produire des toiles dans lesquelles l’ensemble était régi par un système, tout en donnant un résultat visuellement intéressant. Nous appelions cela l’instabilité, en ce sens que l’œil n’est pas seulement sollicité dans sa dimension focale, mais aussi pour sa vision périphérique, ce qui créé un mouvement, jamais de point fixe ; il se passe toujours quelque chose sur le côté, c’est dynamique.

 

Dans Séquences Progressives Ambivalentes, il y avait un système de répétitions/différences, mais c’était entièrement en noir et blanc. Par la suite il y a eu un retour de la couleur. Vous dites qu’en 1959 la couleur est revenue. Ça m’intéresse parce que j’ai grandi en Suisse où j’ai rencontré Richard- Paul Lohse lorsque j’avais quinze ans et il m’a expliqué toutes ces questions chromatiques. Je voudrais savoir si les artistes concrets zurichois on été importants pour vous ?

 

Nous avions découvert tout cela dans un petit livre de Getzner. Les Suisses, nous les percevions davantage comme des mathématiciens. Du reste, ils ont été à l’origine de l’art concret en Argentine et ailleurs en Amérique latine. Mais c’était très mathématique, très géométrique, leur manière d’organiser des formes et des couleurs à la surface du tableau. Nous, nous cherchions à créer un rapport avec les spectateurs, par le visuel, la rétine, en éliminant l’anecdote.

Nous voulions que cela soit direct, que la surface soit pour elle-même ce qu’elle était, sans astuces, et qu’il se créé des rapports avec l’œil.

 

Y avait-il un lien avec l’art concret ? Max Bill avait beaucoup d’influence au Brésil, où se développait tout un mouvement d’art concret.

 

Je crois que c’est en Argentine que ça a commencé, ensuite il y a eu le Brésil, le Mexique, et un peu le Chili. L’art concret, c’était comme une évolution vers une étape supérieure de l’abstraction, un art plus exigeant, avec davantage d’économies dans les moyens. Celui qui avait le plus d’imagination c’était Georges Vantongerloo ; il était important pour nous, on était allé le rencontrer dans son atelier. L’histoire est amusante d’ailleurs : il habitait au métro Alésia et j’y suis allé avec Sobrino, on a tapé à sa porte un jour à 2 heures de l’après-midi. C’était en 1959. On s’est présenté, de jeunes artistes qui venaient étudier en France, etc. On était venu avec une amie pour traduire, et je sais pas pourquoi, peut-être parce qu’il se sentait seul, il a parlé de 2 heures à 8 heures du soir… Il nous a montré des œuvres, je me souviens notamment de morceaux de plexiglas dans lesquels il avait peint des points pour faire de la diffraction, c’était très intéressant…

Cependant, pour nous, le point de départ restait malgré tout Mondrian, ses théories surtout, ainsi que Vasarely, avec son exposition aux Beaux-Arts de Buenos Aires. À ce moment là, l’art abstrait n’avançait plus beaucoup, devenait répétitif, et Vasarely on trouvait ça très fort : surtout ses tableaux noir et blanc, un travail assez rétinien. Pour nous c’était une véritable porte ouverte, parce que le reste de l’abstraction semblait sclérosé.

 

C’était de l’art concret qui tendait davantage vers le Op Art ?

 

Tout à fait. Dans le tableau de Mondrian Boogie Woogie, il y a déjà une tendance au mouvement visuel.

 

Vous voulez dire que l’Op Art commence avec Boogie Woogie ?

 

Je pense que oui, et avec Josef Albers également.

 

Une année très importante pour vous c’est 1960, parce que beaucoup de choses ont lieu : vous faites des reliefs, des expériences avec la lumière, des mobiles, et puis c’est aussi le début du GRAV, le Groupe de Recherche d’Art Visuel. Est-ce qu’on peut parler un peu de 1960, de la façon dont est né le GRAV, dont vous êtes à l’origine avec Hugo Demarco, Héctor Garcia Miranda, Horacio Garcia- Rossi, François Morellet, Servanes, FranciscoSobrino ? (ajouter les autres ?)

 

Je suis allé voir Vasarely, d’abord seul, et puis avec mes amis, et on lui a demandé s’il connaissait d’autres artistes de la même génération que nous – il était plus âgé, il aurait pu être mon père –, et il nous a dit d’aller voir François Molnar. C’est ce qu’on a fait, on l’a rencontré avec sa femme, on lui a demandé aussi s’il connaissait d’autres artistes, et c’est ainsi qu’on a connu Jean-Pierre Yvaral, le fils de Vasarely, Morellet, Stein.

 

Dans cette idée du mouvement, du groupe, il y a bien sûr un lien avec les avant-gardes historiques du début du xxe siècle, mais aussi avec l’idée du collectif, et cela rejoint ce que vous disait votre camarade d’étude, qu’il ne faut pas signer son œuvre. Est-ce que le GRAV avait un manifeste, comme ses illustres prédécesseurs ?

 

Oui, il y avait un manifeste fondateur. Nous nous sommes réunis autour de Molnar, mais on travaillait déjà ensemble, depuis longtemps, en Argentine, on réfléchissait collectivement. Et puis on a finalement trouvé un petit garage à louer, dans le quartier du Marais à Paris. Le fait d’avoir un lieu physique a été fondateur, essentiel. Auparavant, on se réunissait, on discutait un peu en l’air, tandis que là on pouvait travailler et réfléchir ensemble, avec Morellet, Yvaral, Molnar. Molnar ne produisait pas grand-chose, c’était plutôt un universitaire.

 

Vous racontez dans Historieta la diffusion du tract Assez de mystifications, en 1961, pour la biennale de Paris, et puis La Sortie dans la rue. Tout cela poussait vers une forme d’écriture.

 

Oui, mais il s’agissait souvent de textes de circonstances. Par exemple nous avions remarqué qu’à la biennale de Paris il n’y avait que de l’art informel, alors nous avons fait un tract pour exprimer notre point de vue, protester. C’était une façon de signaler que la production artistique et le fonctionnement de sa diffusion, du milieu culturel, étaient très liés à des phénomènes de mode, notamment dans les galeries d’art, et que cela se reflétait dans la biennale – même s’il y avait aussi des choses intéressantes… Chaque pays était invité, et pour chaque pays il y avait un commissaire, puis

une sélection officielle, une sélection de jeunes critiques, pour la France, et une sélection de jeunes artistes, par le biais d’une association. Au fond, même si à ce moment-là nous l’avons critiquée, la manière de fonctionner de cette biennale était bien meilleure que celle beaucoup d’autres biennales, qui n’étaient confiées qu’à un seul commissaire… Au moins, c’était assez polyphonique, contrairement à ce qui s’est passé ensuite dans les biennales internationales, au moment de la mode de l’art conceptuel par exemple.

 

Vous avez écrit un autre texte en 1968, La Guérilla culturelle.

 

C’est exact.

 

Il faudrait éditer un recueil de vos écrits.

 

Oui, ce serait bien, avec des commentaires.

 

Pour revenir au GRAV, le groupe a fait différents labyrinthes, pouvez-vous m’en parler ?

 

En 1961, les gens de la biennale avaient lu notre tract, notre manifeste, et de notre côté nous nous étions donné beaucoup de mal pour monter une première exposition en-dehors du garage, pour rencontrer des gens, discuter.

Nous étions allés à la maison des Beaux-Arts, en face de l’école des beaux-arts, qui était dirigée

par des étudiants. C’était un petit lieu, et les gens de la biennale, peut-être intrigués, sont venus et nous ont proposé de participer à la biennale suivante, en 1963, dans un espace très important, le hall d’entrée. Cela a donné lieu à une réflexion collective au sein du groupe sur la façon dont on pourrait investir cet espace ; petit à petit l’idée est née de faire une œuvre collective, comprenant de grandes œuvres personnelles de Sobrino, Morellet, Yvaral et moi-même, parce qu’il fallait des choses de grande taille. Le Labyrinthe, c’était un parcours au sein de cette espace, avec l’idée d’une immersion, pour que le spectateur ne soit pas simplement passif devant un tableau.

 

Comment est née l’idée des Pénétrables ?

 

Le labyrinthe entier était un pénétrable, avant ceux de Soto, et en 1963 l’idée était bien aboutie. Les gens devaient entrer, il y avait des miroirs, des lumières, des néons de Morellet, etc.

 

Il s’agit là de l’intérieur, mais avec le GRAV vous avez aussi expérimenté l’extérieur, par exemple à Dortmund, où vous êtes allé dans la rue. Comment vous en est venue l’idée ?

 

Dans l’esprit du groupe on savait depuis longtemps qu’il fallait tenter cette expérience, celle d’aller dans la rue. C’était dans le même esprit participatif que le reste…

 

Au sein du GRAV, y avait-il des connections ave le groupe Zero en Allemagne ?

 

Oui, nous les avions rencontrés, tous les trois. Ce groupe fonctionnait différemment du nôtre, car les membres de Zero changeaient, ils étaient parfois trois, parfois dix, selon les expositions ; c’était comme l’addition de trois personnalités, dont le résultat provoquait des expositions, alors que nous nous étions six et que nous cherchions vraiment à travailler ensemble. On tendait vers l’œuvre collective, il y avait énormément d’échanges, on discutait, on analysait les positions ou propositions de chacun. C’était un véritable travail de groupe et nous arrivions vraiment à faire des choses collectivement. Il y avait aussi une différence entre ce qui existait à l’époque et le happening ; pour nous c’était nouveau, mais les mécanismes étaient les mêmes, vis-à-vis des spectateurs notamment : des cérémonies où le spectateur était pris dans le cours de l’action. J’avais vu les premiers happenings réalisés à Paris, mais le spectateur restait passif. Nous c’était différent, c’était beaucoup plus participatif.

 

D’ailleurs à Dortmund, votre action s’appelait « À la recherche du nouveau spectateur », vous alliez vers les gens…

 

Oui, et les spectateurs, surtout, avaient la possibilité d’intervenir, d’inventer des choses.

 

Parallèlement à ce travail collectif, il devait bien y avoir aussi des travaux personnels ?

 

C’est-à-dire que chacun était pris dans cette émulation collective, ce qui fait que même si à un moment on travaillait de son côté, on se retrouvait ensuite et chacun arrivait avec de nouvelles idées, de nouvelles propositions que l’on confrontait, que l’on regardait. On attendait vraiment la réaction des autres.

 

Votre travail à vous tendait davantage vers la troisième dimension, avec les reliefs. Comment en êtes-vous venu aux reliefs ?

 

C’est une prolongation du reste, les reliefs et les mobiles sont la suite logique du travail sur les progressions, les gradations, les projections.

 

Oui, c’est vrai, et dans la même période il y a les Continuels Mobiles, en 1963.

 

Je faisais toutes ces recherches avec la couleur, les permutations, le mouvement, et petit à petit ces variations sur des plans superposés m’ont amené aux reliefs.

 

Avec les miroirs, votre travail prend une dimension architecturale. Quand j’ai interviewé Soto, il m’a beaucoup parlé de ses collaborations avec des architectes. Est-ce quelque chose que vous avez expérimenté ?

 

Une fois ou deux, mais franchement ce n’est pas grand chose. Je n’ai pas été beaucoup sollicité d’ailleurs.

 

Mais cette dimension est pourtant présente dans votre travail ?

 

Oui, ce sont comme de potentielles architectures.

 

Pour rester dans la notion d’espace, comment est née cette autre invention, arrivée plus tard dans les années 1960, que sont les Déplacements ? C’est issu du travail sur les Continuels Mobiles ?

 

Oui, toujours dans l’idée de solliciter le spectateur, de façon rétinienne, les déplacements pouvaient aussi être pris en considération, pour faire en sorte que les changements visuels de la proposition soient produits par le mouvement même des spectateurs. Il y a une chose aussi que j’ai toujours revendiquée, qui était d’avoir une attitude de recherche, à l’opposé de celle des artistes monothématiques. Certains ont un seul thème, d’autres plusieurs, mais nous, nous avions une véritable attitude de recherche. On allait dans une direction, on l’exploitait en cherchant des variations, ce qui nous amenait à d’autres choses, puis on allait encore ailleurs.

 

Toujours dans cette volonté de solliciter le spectateur, il y a un autre aspect, celui des Contorsions…

 

Oui, au début, je ne pouvais pas acheter des moteurs parce que je n’avais pas suffisamment d’argent, alors j’étais obligé d’improviser des mouvements. Même dans mes premiers travaux de lumières, il n’y avait pas de moteurs, je mettais des petits fils, des bricolages pour obtenir des effets. Après seulement j’ai pu acheter des moteurs, que l’on retrouve dans les contorsions.

 

Les travaux de lumières commencent en 1959, et au début vous faites de petites boîtes.

 

Les petites boîtes, cela fait suite au travail sur les variations de couleurs. Il y avait tellement de possibilités, de potentialités de variation, que j’ai cherché à travers les petites boîtes à les visualiser, avec des prismes, des plaques mobiles… J’essayais toutes sortes de choses, c’était vraiment le fruit de cette attitude de recherche, de curiosité, d’investigation. Le « monothématisme », si l’on peut dire, c’est lié à des contraintes de type social, surtout dans le milieu culturel, qui veut que chaque artiste trouve son style, qu’il soit identifiable, et cela enferme parfois dans le monothématisme de façon abusive, répétitive. Pas toujours, car cela peut aussi être intéressant sur la longueur, mais cela donne souvent lieu à des répétitions faciles.

 

Dans votre œuvre, il y a beaucoup de réalités parallèles, différentes. Dans le travail de la lumière par exemple, il y a toutes sortes de choses, les boîtes, les projections, les murals, etc.

 

Oui, tout cela est encore lié à l’esprit de recherche dans lequel j’étais. Quand on commence à travailler avec la lumière, on manipule, on expérimente… La première fois c’était dans ma cuisine, j’essayais de faire bouger la lumière, de manipuler des petites lampes de poche, mais je ne connaissais rien à l’électricité.

 

C’est fascinant que ça soit issu de la cuisine, parce que j’ai moi aussi commencé en faisant des expositions dans ma cuisine, quand j’étais étudiant… Pour vous, ce travail sur la lumière est devenu de plus en plus complexe, avec les projections, des lumières pulsantes, toujours dans un esprit de laboratoire.

 

Oui, et j’ai d’ailleurs l’impression que beaucoup de ces choses que nous avons expérimentées, soit dans le groupe, soit avec la Nouvelle Tendance, sont restées comme un champ libre où tout le monde s’est servi, ce qui est bien, mais en même temps, du point de vue de l’histoire de l’art, il faut dire que sur beaucoup de ces choses nous étions précurseurs.

 

Il existait aussi des groupes d’artistes en Italie, aviez-vous des contacts avec eux ?

 

Oui, surtout avec le groupe N de Padoue, et le groupe T de Milan, et d’autres encore, parce que nous essayions d’organiser des rencontres à un niveau plus international, avec la Nouvelle Tendance par exemple. Le Gruppo N avait une galerie à Padoue, où ils nous ont invité à exposer. J’avais retrouvé Fontana à Milan aussi. Les relations étaient très intenses, et nous avons fini par organiser une grande exposition de la Nouvelle Tendance à Paris, au musée des Arts décoratifs, avec des discussions, etc. C’était autogéré, si l’on peut dire, nous décidions des choses nous-mêmes. Ce n’était pas facile, bien sûr, mais nous étions beaucoup d’artistes, et nous faisions l’affiche, le catalogue, la répartition de l’espace.

 

Dans toutes ces expositions il y avait un travail sur l’espace, puis vous avez commencé les Salles de jeu. À partir de 1964 vous avez commencé à utiliser des moteurs, et on a l’impression que toutes les expérimentations que vous avez pu faire sur les rotations, les lumières, les vibrations, vous avez commencé à les combiner en une sorte d’œuvre d’art totale ?

 

Oui, les Salles de jeux étaient l’addition de toutes ces expériences. Alors que dans les lieux d’expositions les spectateurs doivent normalement rester très corrects, à distance, sans rien toucher, recevant les œuvres passivement, dans mes salles de jeux les gens pouvaient se retrouver un petit peu, en déclenchant des choses, en participant à différentes propositions.

 

Il y avait aussi des lunettes pour avoir une vision autre, des doubles miroirs, une sorte d’extrême variété d’expériences.

 

Oui. Il y a des classifications faciles, du type Op Art ou art cinétique, mais ça ne recouvre pas l’ensemble de ces expérimentations. Là il s’agissait d’un jeu pour le spectateur qui participait réellement. Il y avait aussi des jeux-enquêtes,

assez politisés, qui voulaient aller contre l’establishment, pousser à la réflexion, sur l’impérialisme, tout ça. Il y avait aussi un jeu qui invitait les visiteurs à faire chuter les mythes, avec un son à chaque fois que l’un d’entre eux tombait et surtout des enquêtes, qui accompagnaient ces jeux…

 

C’est aussi le moment où vous commencez vos expositions rétrospectives, la première en 1967, à l’institut Torcuato Di Tella, un lieu mythique.

 

La personne qui dirigeait cet institut s’appelait Jorge Romero Brest, c’était un historien et critique d’art de l’époque de l’art concret. Il avait une association qui organisait des conférences, des rencontres, et il venait parfois à l’Académie.

Puis il a fondé cet institut Di Tella, au centre de la ville, où il y avait de la musique, du théâtre, des activités scientifiques, et une salle d’exposition dont il avait la charge et où il se passait beaucoup de choses. Il invitait des critiques connus, comme Pierre Restany, c’était un vrai laboratoire, il y avait une grande effervescence de jeunes artistes, dans différents domaines.

 

Le moment de rassembler vos œuvres pour cette grande exposition au palais de Tokyo, est peut-être aussi le celui de repenser à vos projets non réalisés. J’aime bien l’idée utopique de ces projets qui étaient trop grands pour être effectivement réalisés, ou qui ont été censurés, ou autocensurés, oubliés, négligés… Dans le livre que vous aviez fait avec Jean-Louis Pradel, il y a un chapitre sur les maquettes, où l’on voit certaines de vos œuvres réalisées mais aussi beaucoup de projets non achevés.

 

Oui, il y a beaucoup de choses que je n’ai pas pu faire. On ne peut pas tout faire, il faut trouver des compromis, il y a des choses qu’on peut faire avec très peu de moyens, et d’autres qui doivent être prises en charge par le système culturel. Cet argent doit être utilisé pour valoriser la création contemporaine, sans décider de ce qui est bon ou pas, sans suivre les diktats du marché ou les effets de mode. Les institutions doivent essayer de contrebalancer les choix hégémoniques du système de l’argent. Par exemple, nous, nous organisions des rencontres où des artistes présentaient leurs œuvres à tour

de rôle. C’était passionnant, même s’il n’y avait précisément aucun enjeu d’argent. Parfois il y avait des incompréhensions bien sûr, personne ne voyait ce que l’artiste voulait montrer, mais ça restait intéressant. Le contraire est problématique,

aujourd’hui il y a des œuvres ou des expositions qu’on ne peut pas comprendre sans lire le titre et les explications, les textes qui conditionnent la façon dont on doit percevoir l’œuvre. Et si on ne comprend pas les explications, cela donne l’impression d’être un ignorant. Chez moi, les gens voient ce qu’ils voient. La mystification intervient quand il y a des intermédiaires, les critiques d’art, les historiens, les textes, les directeurs de musée, les galeries, et aussi le prix. Ça étonne les gens, et même s’il n’aiment pas vraiment, ou ne comprennent pas, dès lors qu’on leur dit que ça vaut tant de millions, ils se disent qu’il doit y avoir quelque chose, alors que parfois ce n’est rien. Peut-être que les œuvres qui valent une fortune aujourd’hui seront les pompiers du futur.

 

ça pourrait quasiment être une conclusion… Mais j’ai une ou deux dernières questions… Il y a notamment une chose dont on n’a pas parlé, c’est qu’au cours des années 1970 et 1980 vous avez ramené beaucoup de vos expériences dans les tableaux, dans la peinture, la complexité de vos espaces. Dans toute la grande série des modulations par exemple, on retrouve le travail de la lumière, et les modulations de l’espace, vous les avez ramenées vers la peinture. Qu’est ce qui vous y a poussé ?

 

C’est ce que je disais à l’instant, on arrive à un point où l’on ne peut plus avancer, sauf à devenir un agitateur professionnel, un dénonciateur du système, de la manipulation du milieu culturel, de la valorisation artificielle des

œuvres contemporaines… Petit à petit je me suis dit que peut-être, d’une manière plus limitée, je pouvais exercer une capacité à développer l’imagination en manipulant des éléments plus accessibles que l’espace, en intervenant à la surface. Même s’il y a toujours une idée derrière, jamais rien de gratuit, il ne s’agit pas de jeter de la peinture contre le mur, il y a des séquences, des transformations, des situations…

 

Et vos œuvres les plus récentes, à partir des années 1990, s’appellent toutes Alchimie. Pouvez vous me parler de cette notion ?

 

Un jour, j’ai fait un dessin sur un petit cahier, et je me suis dit que c’était intéressant, qu’il fallait que je le développe, et c’est parti de là. Comme toujours, je me laisse aller, je cherche, je dessine, je trouve des idées au fur et à mesure, et j’essaie de les mettre au point. Et si le résultat est un tableau qui entre en contradiction avec des idées que j’ai exprimées, ou des choses que j’ai faites auparavant, j’assume, et je continue, toujours dans la recherche. Dès que je vois un thème, je vois des possibilités qui s’ouvrent, des variations pour poursuivre. Pour monter une exposition c’est pareil, j’essaie de multiples configurations, et à force de changer on trouve de nouvelles choses.

 

Oui, et cela nous ramène quasiment au présent, je pourrais donc vous demander sur quoi vous travaillez en ce moment à l’atelier ?

 

Je suis assez pris par l’exposition au palais de Tokyo, qui est très grande et qui demande beaucoup de préparation, de recherches, de travail, mais c’est très intéressant. Et surtout, c’est la première fois que j’ai l’occasion de présenter un tel ensemble en France, et pour moi c’est moins une rétrospective qu’une exposition monographique. Je voudrais, à mon âge très avancé, faire une exposition qui présente moins des œuvres, des objets ou des installations qu’une attitude, cette chose essentielle, cet esprit de recherche, d’expérimentation, et toutes ces réflexions sur la culture, la société, le rôle de l’artiste, l’importance de l’art. C’est cela qui a toujours compté pour moi. Dans mon cas ça n’a jamais été que de la théorie, c’était une façon de chercher comment transformer en permanence ma pratique quotidienne, en essayant de m’attacher le moins possible aux exigences du milieu. Même si bien sûr les compromis sont inévitables, parce que si on va à l’extrême ça n’a plus de sens, comme certains artistes des années 1970 qui ont tout bonnement renoncé, pour ne pas être rattrapés par le système bourgeois capitaliste.

 

ça m’amène à ma toute dernière question. Tout comme Rilke a écrit des conseils à un jeune poète, quel seraient les vôtres à un jeune artiste en 2012 ?

 

Lors d’une exposition, un conservateur a ressorti notre manifeste de 1963 et nous a demandé, à tous les membres du GRAV, ce que nous en pensions aujourd’hui. Tout le monde a répondu, et moi ce que j’ai fait, c’est que je me suis mis dans la position de différents personnages du milieu culturel, comme si j’étais tour à tour un utopiste attardé, un splendide artiste officiel, un marchand d’art, un artiste solitaire…

 

 

 

 

ATELIER LE PARC - 2014